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Tables rondes

Synthèse | Rencontre-débat du 21 janvier 2023

Synthèse rédigée par Pierre Bruynooghe,
membre du Conseil d’administration de POLLEN.

Les échanges de cette table ronde inédite ont essentiellement porté autour de ces deux questions :
> Quelles sont les trois priorités sur lesquelles les sociaux-démocrates doivent se prononcer de façon à définir un projet de société ?
> Pensez-vous qu’il existe une perspective de rassemblement des sociaux-démocrates aujourd’hui largement dispersés pour qu’ils deviennent une force importante dans le paysage politique Français ?

  • Intervention de Bernard Cazeneuve (Manifeste)
De gauche à droite, dans la salle : Gilles Savary (CSDR), Catherine Lefèvre (Demains), Hadrien Laurent (PRG), Marie-Annick Barthe (POLLEN), Philippe Hardouin (ex-président d’En Commun), Juliette Méadel (Fédération Progressiste), Dominique de Combles de Nayves (Lab de la social-démocratie/Inventer à Gauche)

La génération précédente « s’est battue pour que le monde soit meilleur », la nouvelle « se bat pour que la vie soit possible ». Par cette affirmation que l’on pourrait faire citation, Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, a rappelé un certain nombre de défis inédits qui se présentent à nous et qui font la gravité du contexte.

Le contexte géopolitique est plus grave qu’il ne l’a jamais été au cours de ces dernières années. Le projet des pères fondateurs de l’Union européenne est battu en brèche lorsque la guerre revient et que des milices y sont utilisées sur le continent européen, « comme si nous assistions pour partie à un recommencement funeste de l’histoire ». Face à cette réalité, les pays européens doivent avoir la capacité d’agir ensemble. Cela passe par un renforcement de l’identité européenne en matière de sécurité et de défense au sein de l’OTAN, les Etats-Unis se tournant de plus en plus vers la zone pacifique, articulée autour de la volonté partagée de la France et de l’Allemagne, mais également du Royaume-Uni.

Les exemples d’instabilité géopolitique sont nombreux, dans le Proche Orient, mais également au Sahel puisque la dissémination de groupes terroristes et la désinformation concernant la France et son action n’y ont jamais été aussi grandes.

En ce qui concerne le contexte économique et social, les réformes ne pourront être menées à la condition qu’elles ne se fassent pas contre les valeurs de justice, de solidarité et de réduction des inégalités qui doivent être au cœur du projet du gouvernement. A ce titre, Bernard Cazeneuve partage la volonté du gouvernement actuel de mieux prendre en compte la pénibilité et de revaloriser le minimum contributif dans le cadre de la réforme des retraites. Mais il ne partage pas la mise en place d’un âge pivot qui pénaliserait principalement celles et ceux qui ont travaillé tôt dans des conditions pénibles. Cette réforme doit bien évidemment respecter l’équilibre des comptes sociaux, et à ce titre il faut cesser avec la démagogie de la gauche actuelle dont le discours rend impossible le maintien de l’État providence. Néanmoins elle doit faire l’objet d’un compromis avec les syndicats, notamment les plus réformistes, afin qu’elle soit juste et socialement acceptée.

Sur chaque sujet, Bernard Cazeneuve prône le juste équilibre entre l’efficacité économique et la justice sociale.

Pour Bernard Cazeneuve, l’écologie est une priorité qui ne déroge pas à la conciliation de plusieurs objectifs, la préservation de la nature et la production, car sans production aucune redistribution n’est possible. Cela passe, donc, par une croissance sobre et sûre. En matière énergétique, cette ambition écologique doit se traduire par un mix énergétique décarboné. Se passer du nucléaire pour le tout renouvelable est une illusion qui n’est économiquement pas tenable. Il faut au contraire, encore une fois, trouver un équilibre pour que l’énergie soit à un juste prix, condition du maintien de la compétition de la compétitivité de l’économie Française : il faut à la fois moderniser le parc nucléaire et développer les énergies renouvelables. Il faut également renforcer le rôle énergétique de l’État pour assurer les transitions dans l’agriculture et l’appareil productif.

A partir de ce constat, que faut-il faire ? La ligne de mire est la construction d’une force politique. Pour ce faire, cette force doit être suffisamment centrale, crédible et convaincante pour créer les conditions d’une agrégation autour d’elle. Cela suppose que la social-démocratie ne soit pas groupusculaire : la constitution d’une force sociale-démocrate n’est possible que si l’ensemble des collectifs et des leaders la représentant acceptent le dépassement et l’intégration dans une organisation commune. La constitution d’une force sociale-démocrate doit se faire rapidement, dès les élections européennes, afin de constituer à gauche une alternative à la NUPES qui produit du vote RN en quantité industrielle, ce qui crée un risque politique pour le pays.

Hadrien Laurent intervient en tant que secrétaire général du PRG.

Si l’histoire, la culture et la doctrine du PRG sont quelque peu différentes et se fondent avant tout sur le républicanisme social, les radicaux de gauche se reconnaissent bien évidemment dans la galaxie sociale-démocrate, qu’ils qualifient de gauche républicaine, sociale et démocrate.

Le rassemblement de cette gauche est possible, pour autant qu’elle se distingue politiquement de la NUPES et de la majorité présidentielle par un travail idéologique et programmatique commun qui offre un projet de société alternatif.

En effet, les radicaux de gauche se différencient de la majorité présidentielle, qu’ils situent au centre droit et à la droite libérale, sur la question des retraites. Le PRG soutient une réforme systémique à points et s’oppose à la réforme paramétrique socialement injuste voulue par le gouvernement « pour des considérations budgétaires très relatives ».

Hadrien Laurent souligne également les très grandes divergences de sa famille politique avec la NUPES sur la question des retraites toujours, puisque les radicaux de gauche se positionnent contre le retour de la retraite à 60 ans, mais aussi sur l’Europe, les affaires étrangères, le nucléaire, la laïcité, l’universalisme et le rationalisme scientifique, auquel s’opposent l’extrême gauche et l’extrême droite.

A partir de ce constat, Hadrien Laurent propose aux participants du séminaire de se réunir de façon régulière pour préparer un éventuel rassemblement républicain, social et démocrate ainsi qu’un programme commun. Il annonce, en tant que secrétaire général du PRG, que son parti y est prêt.

Déléguée générale de demains, parti social-démocrate et républicain, Catherine Lefèvre affiche trois priorités qui ne sauraient s’affranchir d’un cadre résolument européen.

La première se rapporte au respect des valeurs républicaines pour conforter la laïcité, notamment la liberté de conscience, et des libertés individuelles telles que la liberté d’expression et la liberté de la presse. Ce socle républicain est indissociable de la lutte contre le communautarisme, de la préservation de l’égalité des chances et du rétablissement de l’autorité publique car les premières victimes de l’insécurité sont les plus défavorisés.

La deuxième priorité de demains est l’élaboration d’un nouveau contrat social entre les citoyens, les entreprises et l’État pour faire face à la succession de crises sanitaires, énergétiques et sociales ainsi qu’à la contestation de la mondialisation et à l’émergence des réseaux et des plateformes numériques.

Ce nouveau contrat social est également nécessaire car le rapport des individus au travail a changé et les entreprises doivent être garantes de la socialisation et du bien-être de ses salariés. Le modèle économique doit évoluer afin de privilégier la croissance verte, en raison de la contrainte du changement climatique, et redéfinir les souverainetés incontournables.

Catherine Lefèvre propose aussi de refonder l’éducation et la santé afin de se conformer à ce qu’attendent les citoyens d’un État protecteur.

Enfin, la troisième priorité, pour demains est de penser une nouvelle organisation institutionnelle qui privilégie les territoires à travers un choc de simplification, la débureaucratisation, la responsabilisation des élus et une réelle complémentarité entre les collectivités et l’État. Quant à la démocratie participative, les récentes expériences ont démontré sa limite. Il faut donc valoriser le rôle du parlement et du CESE ainsi que celui des corps intermédiaires.

Juliette Méadel, Fédération Progressiste

Vice-Présidente de la Fédération Progressiste, Juliette Méadel confirme bien qu’il y aura le moment venu un rassemblement de toutes les composantes de la social-démocratie, dans leur diversité, mais que le plus important, avant tout, est de savoir tenir un discours aux Français.

Les Français ne sont pas divisés en trois (extrême gauche, centre, extrême droite) mais en deux camps : les classes populaires qui sont assignées à résidence et subissent l’appauvrissement des services publics notamment en matière d’éducation et de santé, et les élites qui ne connaissent pas ces difficultés. Les classes populaires ont très largement voté pour Marine Le Pen et dans une moindre mesure Jean-Luc Mélenchon pour lesquels l’horizon est fermé aux frontières de la France.

Pour éviter cela, les sociaux-démocrates doivent proposer un récit fortement républicain, mais également renouer avec le mouvement social, « assumer le courage et la volonté » comme le faisait Georges Clémenceau, c’est-à-dire oser l’autorité du professeur à l’école et plier les lobbies qui empêchent les transitions d’être menées dans la santé et l’écologie. Enfin, les forces de progrès doivent avoir la volonté politique de construire un autre modèle économique qui ne serait plus guidé par le profit.

Philippe Hardouin a quitté la présidence d’En Commun, parti social-écologiste qui s’inscrit dans la majorité présidentielle, ne soutenant plus l’action du gouvernement sur un certain nombre de sujets, dont les retraites.

Philippe Hardouin affirme que l’opposition entre les élites et le populisme est à son paroxysme. Les élites doivent donc démontrer qu’elles sont encore capables de produire un discours par rapport à une société qui a beaucoup changé depuis les 30 glorieuses.

Les Français demandent de la protection et de la justice dans les mesures qui sont prises, ce que n’intègre pas la réforme des retraites qui fait peser les efforts sur les plus modestes. L’écologie est un impératif pour les Français, mais celle-ci ne doit servir ni un discours culpabilisant et punitif, ni servir de caution pour des pratiques politiques contraires notamment en matière de glyphosate et de néonicotinoïdes.

A partir de ce constat, il faut régénérer un modèle social en donnant un nouveau cadre d’intervention à l’État pour conduire les transformations nécessaires.

Pour ce faire, Philippe Hardouin exprime la nécessité que toutes les composantes de la social-démocratie se rassemblent pour penser la conception d’un État qui soit suffisamment fort pour accompagner les transitions, et qui exprime en même temps la nécessité de consulter les corps intermédiaires et de redéfinir son rapport aux collectivités territoriales dans le cadre de son fondement démocratique (68 min 44 – 69 min 55).

Dominique de Combles de Nayves est secrétaire général d’Inventer à Gauche, cercle de réflexion social-réformiste créé en 2008 à la suite du Congrès de Reims du Parti socialiste en 2008, et participant depuis peu au Lab de la social-démocratie avec Les Engagé.e. s de Laurent Joffrin et Nouvelle Société de Jean-Christophe Cambadélis. Inventer à Gauche est un cercle qui se définit comme européen, progressiste et réformiste.

D’abord, la social-démocratie s’inscrit dans les racines du socialisme et ne peut se construire en dehors du cadre européen et internationaliste. Il y a besoin que les forces sociales-démocrates reprennent pied en Europe pour répondre à un certain nombre de défis dont la construction d’une Europe démocratique car celle-ci ne peut plus être technocratique.

Ensuite, la social-démocratie ne peut se faire sans retrouver le chemin du progrès qui est indispensable dans une société moderne pour répondre notamment à la question écologique, en intégrant à la fois le respect de la nature et la poursuite des avancées scientifiques et technologiques. La question écologique ne doit pas non plus être punitive et se faire contre les classes populaires.

En effet, la social-démocratie porte en elle la valeur de solidarité, à la nuance près que celle-ci ne peut être effective sans la production de richesses qui est une condition préalable de la redistribution.

Enfin, Inventer à Gauche prône le réformisme radical, en d’autres termes, le cercle défend l’idée qu’il faut être radicalement réformiste. La réforme est le sens du compromis : ce qui n’est pas le cas de la réforme des retraites qui dans la méthode est très critiquable et qui sur le fond est ressentie comme injuste par les Français.

Une fois ces trois priorités affichées, Dominique de Combles de Nayves affirme la nécessité d’établir un programme clair et précis à présenter aux Français pour leur offrir des perspectives concrètes avec un mode d’emploi. Il faut prendre le juste temps nécessaire pour y parvenir, mais veiller à ce que ce temps ne soit pas de trop afin que les sociaux-démocrates restent dans le jeu politique. Ce programme intégrera des idées sociales-démocrates plurielles mais devra être porté par une figure politique pour l’incarner .  

  • Gilles Savary, Collectif des sociaux-démocrates réformateurs (CSDR)

Le Collectif des sociaux-démocrates réformateurs (CSDR) est le vaisseau refuge d’un certain nombre de cadres de Territoires de Progrès qui pensaient pouvoir construire une aile gauche indépendante, autonome et constructive au sein de la majorité présidentielle. Gilles Savary, ancien député Européen et Français, et président de ce collectif, constate que cela n’a pas été possible. Il affirme aussi qu’il ne se reconnaît pas dans Renaissance et qu’il croit aux identités politiques. Le collectif des sociaux-démocrates réformateurs porte l’identité d’une gauche sociale-réformiste voulant former avec d’autres collectifs une force sociale-démocrate capable de battre le RN en 2027, seule ou en considérant des alliances avec la droite sur la base d’un programme de gouvernement au sein duquel le jeu des rapports de force obligera la social-démocratie à défendre une identité forte.

Pour défendre cette identité, il faut un regroupement rapide de l’ensemble des mouvements composant la social-démocratie, en dehors du Parti socialiste dont l’histoire glorieuse s’est terminée, sur le modèle confédéral à l’image de la Convention des institutions républicaines fondée par François Mitterrand en 1964. Cette confédération devra être portée par un leadership politique et se fonder sur un socle idéologique commun.

Idéologiquement, Gilles Savary identifie plusieurs enjeux. La justice sociale doit être assurée dans les transitions afin que celles-ci ne laissent pas de côté les plus modestes qui ont aujourd’hui les coûts de mobilité les plus importants et auxquels les pouvoirs publics n’offrent aucune solution. Parmi ces transitions, il faut porter celles qui promeuvent le progrès avec les scientifiques, et ne pas céder au catastrophisme qui déstructure la société.

Il faut également régénérer le pacte républicain et renforcer le commun, respectueux, bienveillant et tolérant qui est fragilisé par le fractionnisme de quelques-uns.

Les services publics essentiels, dont la santé, l’éducation, la culture, la sécurité publique et la justice, ainsi que les transports publics ne sont malheureusement plus universels d’accès sur l’ensemble du territoire.

En ce qui concerne l’Europe, celle-ci est au cœur de l’engagement social-démocrate : la classe politique doit aimer l’Europe et redéfinir son positionnement européen en devenant plus franchement atlantiste vis-à-vis notamment des pays de l’Est qui font du parapluie américain le seul qui mérite d’exister alors que les Etats-Unis regardent en partie ailleurs aujourd’hui.

Le débat était animé par Sophie Segond, déléguée générale de POLLEN (debout, à gauche) et Marie-Annick Barthe (assise, au centre).

2 réponses sur « Synthèse | Rencontre-débat du 21 janvier 2023 »

Initiative louable, en espérant que cette volonté de faire renaître la social démocratie ne soit pas une simple alliance de circonstance pour les européennes..Cazeneuve pourrait porter l’alternance en 2027, mais il devrait s’engager réellement. Tout comme Savary, déçu par TDP qui n’était qu’un faire valoir pour étouffer celles et ceux qui croyaient encore qu’il était possible de porter les valeurs de gauche, universaliste et progressive pour redresser la barre.. Mais aujourd’hui le président de la république a choisi une voie gravement divergente en faisant alliance avec une droite « extrême » qui nous conduit à un effondrement du bien commun.

Bravo !
C’est un début à renouveler.
Beaucoup de travail de réflexion et d’action nous attendent pour élever à la hauteur qu’ils méritent les sociaux démocrates vis à vis de nos concitoyens, impatients de trouver une nouvelle voie forte de valeurs et d’idéaux.
Forts d’un ADN commun, nous devrons notamment nous enrichir de nos différences, informer et écouter nos futurs adhérents en faisant preuve d’humilité. Concilier et faire fît de nos ambitions personnelles.Former et accompagner nos adhérents qui se présenteront aux échéances électorales à venir.

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