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Incendies de forêts, question de crise ou question de temps ?

Une contribution de Jean-Yves Caullet :

Notre pays vit en ce moment une situation de crise en matière d’incendies de forêts.

Un moment de crise porte au premier plan de l’actualité des questions qui, le reste du temps, n’ont pas cet honneur. Cela peut être l’occasion de débats intéressants, de prises de conscience utiles et de choix fondamentaux, mais c’est aussi souvent l’instant choisi pour assener des vérités parlant à l’émotion et non à la raison, parfois même, on essaiera de tirer argument de la crise pour d’autres causes…

C’est pour moi le moment de rappeler quelques éléments au sujet de nos forêts et du risque incendie auquel elles sont exposées, et d’ouvrir simplement des questions que l’urgence et les fausses
évidences cachent parfois.

Rien n’est pire que l’incendie.

Pour la forêt, et quel que soit le point de vue, biodiversité, émission de gaz à effet de serre, climat, paysage, économie, utilité sociale, …, rien, à part le défrichement définitif, le béton et l’asphalte, rien n’est pire que l’incendie.

Le risque « incendie » : la météo, le climat.

Les conditions météorologiques ont une influence majeure sur le risque incendie. La température, le taux d’humidité de l’air et du sol, le vent, sont autant de facteurs bien connus qui caractérisent les situations à risque et les plus ou moins grandes difficultés de lutte.

Si les circonstances de cet été sont particulièrement défavorables, le plus important est de se rendre compte que l’occurrence de telles situations va augmenter et se déplacer vers le nord de notre pays avec l’avancée de la perturbation du climat.

La vulnérabilité des forêts.

Aucune forêt ne peut être considérée comme à l’abri du risque d’incendie.

Bien sûr, certaines espèces se sont adaptées et résistent mieux, mais cette résistance n’est pas absolue, elle n’est pas adaptée à la répétition des évènements liée à l’évolution du climat.

Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » forêt face à l’incendie et à son risque grandissant, les différences de vulnérabilité des différents types de peuplement seront submergées par l’augmentation du risque.

Les feuillus de nos forêts bruleront aussi dans des conditions météo extrêmes qui vont se multiplier, s’ils ne sont pas morts de sècheresse avant !

Si certains peuplements forestiers sont aujourd’hui plus résilients, ceux qui pensent que pour mieux résister à l’incendie il faut « changer de forêt », n’ont pas conscience de la différence d’échelle de temps entre la multiplication du risque et l’évolution forestière…

L’Homme facteur de risque et de protection.

95% des incendies sont d’origine humaine en France, c’est un fait, mais l’homme est aussi le seul à pouvoir lutter contre les incendies.

Lorsque l’homme est absent, le risque demeure (foudre), et rien n’arrête l’incendie sinon la pluie, la mer ou le désert, car la forêt « naturelle » est impénétrable et recèle une quantité de bois mort au sol qui est un combustible redoutable. La richesse de ces forêts en biodiversité est grande, mais les dégâts de l’incendie y sont d’autant plus catastrophiques.

On entend parfois dire que ces incendies « naturels » en forêt « naturelles » « font partie du cycle de ces écosystèmes…sans doute, mais d’une part les mêmes bons esprits « luttent » contre certaines méthodes de sylviculture pourtant moins traumatisantes, et d’autre part, le dérèglement climatique détruira ce fameux cycle « naturel » et bien malin qui peut dire si subsistera un écosystème forestier…

Enfin, cette théorie n’a de sens que dans des espaces très éloignés de toute présence humaine, la géographie de notre pays et les activités notamment de loisir qui s’y développent, font que l’Homme facteur de risque étant omniprésent, l’Homme protecteur contre le risque ne peut être défaillant.

Une forêt surveillée, accessible, équipée, résiste mieux.

Une forêt gérée est surveillée, accessible et équipée, elle fournit en plus un matériau durable et des services écosystémiques et sociaux irremplaçables.

Une forêt correctement et durablement récoltée, fournit également une partie des moyens de sa protection.

Le dispositif de prévention et de lutte en France est performant.

Depuis 1995, la mise en place d’une politique de DFCI (défense contre l’incendie) conjuguant prévention, détection, intervention précoce, et adaptation des moyens, qui associe tous les partenaires : État, collectivités, forestiers publics et privés, sapeurs- pompiers, sécurité civile, services météorologiques, et depuis peu la solidarité européenne, a porté ses fruits.

L’Académie d’agriculture a d’ailleurs publié des statistiques probantes sur ce sujet au cours des vingt dernières années. Pour donner une illustration en 2020 voici quelques chiffres :

PaysSurface forestière détruite par le feuSurface du paysTaux de boisement
Portugal62 000 ha92 000 km237%
Espagne61 000 ha511 000 km227%
Grèce15 000 ha131 000 km225%
France14 000 ha551 000 km226%
Année 2020

Il nous faut adresser un immense merci à toutes celles et ceux qui luttent contre les flammes.

Une culture à développer vers le nord.

Ces comparaisons méritent toutefois un correctif.

Le climat de nos voisins méditerranéens est plus défavorable que le nôtre en moyenne, or, demain le nôtre ressemblera au leur d’aujourd’hui.

Le risque incendie, jadis apanage des sud de la France, va « monter » au nord, où la culture du risque, l’équipement des massifs et des services de lutte ne sont pas encore adaptés.

Il faut aussi reprendre une communication citoyenne sur les risques d’incendie. Certains gestes automatiques comme « je jette mon mégot par la fenêtre de la voiture » doivent être abandonnés, barbecues, feux ouverts, camping sauvage doivent être sanctionnés si besoin.

Des moyens efficaces à développer.

Quand la crise survient, il est facile de prétendre que les moyens de l’éviter ont été insuffisants comme les moyens de lutte, l’exploitation politique de l’émotion n’est jamais loin !

Cela étant, le développement du risque au nord va nécessiter un ajustement structurel du dispositif actuel, c’est une évidence, il faut y réfléchir vite et agir sans tarder et certainement avec nos voisins
européens.

Les réflexions et évolutions sur le pré positionnement des moyens aériens entre sud-est et sud-ouest ne sont que le début de ce travail.

Une fois la crise passée…

Une fois la crise passée, les médias auront trouvé un autre sujet…et les territoires meurtris auront à cicatriser leurs plaies, cela prendra des décennies, sous l’incertitude du bouleversement climatique, ce sera le temps des forestiers.

Seront-ils assez nombreux, assez forts, assez opiniâtres et modestes ?

En tous cas, sans la confiance et le soutien de nos concitoyens, ils seront bien seuls face aux procureurs de l’instant, aux donneurs de leçons, aux ignorants péremptoires de l’histoire et de la forêt qui, pour la plupart, seront rapidement passés à autre chose…

Cela dépend de nous et de l’intelligence collective que nous serons en capacité de développer.


Interview de Jean-Yves Caullet dans le Parisien le 25 juillet 2022

Faut-il replanter à l’identique ou installer des essences moins inflammables ? Quand et comment ? Combien cela va-t-il coûter ? Jean-Yves Caullet, président du Conseil d’administration de l’Office national des forêts (ONF) nous répond.

Le feu à La Teste-de-Buch est fixé, celui de Landiras aussi depuis ce dimanche soir. Va-t-on bientôt pouvoir replanter ?

Replanter n’est pas la seule solution. On peut aussi imaginer repartir des îlots forestiers qui n’ont pas été détruits et les régénérer. Il va falloir prendre le temps de trancher. Mais imaginons qu’on replante cela ne se fera pas cet automne. Les sols sont gorgés de produits toxiques créés par les incendies. Il faut attendre au moins une saison complète, sans doute l’an prochain.

C’est long…

Oui, cela demande du temps. De notre vivant, nous ne reverrons pas les forêts perdues. Nos enfants, peut-être…

Quelle va être la stratégie pour éviter ces incendies gigantesques à l’avenir ? Faut-il planter les mêmes espèces ?

Le choix des essences que l’on va planter est une question épineuse. S’agissant de la Gironde, la règle, c’est qu’il faut des espèces adaptées au climat du Sud. Par exemple, mettre à cet endroit des chênes sessiles est impossible ! Il faut viser des arbres méditerranéens – comme les pins, puis les chênes verts ou tauzins pour le sous-étage – qui sont adaptés à la météo d’aujourd’hui, et plus encore à celle qui sera là dans cinquante ans, avec l’effet du réchauffement climatique. Hélas les grandes forêts de feuillus, qui sont certes moins sensibles aux incendies. ne sont pas adaptées au climat du Sud.

Sur quoi faut-il travailler, alors ?

En premier lieu, l’organisation des forêts : les feux en Gironde ont démarré dans une forêt difficile d’accès. Il faudra s’efforcer de maintenir des accès faciles pour les secours, ainsi que des points de vigilance. Un proverbe dit : Au début, un incendie s’éteint avec un seau d’eau. Regardez ce qui se fait plus au sud, dans les forêts des Landes, qui sont bien aménagées, avec des chemins, des points d’eau, des vigies…Là-bas, depuis1949 et un très grave incendie, on n’a pas connu de nouvel épisode d’ampleur, comme celui qui se produit en Gironde.

Ces incendies ont mis en lumière l’aspect disparate des forêts, détenues par de nombreux petits propriétaires de parcelles. En quoi est-ce un problème ?

75% de notre domaine forestier est privé. Là-dessus, seules les parcelles de plus de 15 ha sont soumises à un plan de gestion particulier et obligatoire. Il faudra, à l’avenir, guider ces petits propriétaires – qui n’ont souvent même pas conscience d’être propriétaire d’une forêt ! – vers une gestion plus collective. Car en l’état, il y a trop d’endroits délaissés, abandonnés, sans accès, bourrés de bois mort… Cela contribue à créer des îlots dangereux ! Je rappelle qu’un incendie dramatique peut démarrer sur un demi-hectare.

Il faut aussi progresser sur la surveillance ?

Oui, c’est essentiel. Des solutions existent : drones équipés de caméras infrarouges, surveillance accrue des zones les plus dangereuses, etc.

Combien la « reconstruction » d’une forêt détruite comme en Gironde risque-t-elle de coûter ?

À la louche, et sans anticiper la solution qui sera choisie, on peut osciller entre 3 000 et 5 000 € l’hectare (soit 105 millions d’euros pour la fourchette haute avec 21 000 ha détruits).

Il y a ce qui a été détruit, mais aussi ce qui a été sauvé par les pompiers : vous soulignez l’efficacité des secours…

Bien sûr. Il n’y a aucune victime humaine, aucun village détruit, hormis, évidemment, les campings qui étaient en zone forestière. Regardez les mégafeux aux États-Unis : il y a systématiquement des morts, sur ces incendies qui détruisent des centaines de milliers d’hectares. Depuis la fin des années 1990, en s’appuyant sur les grands précédents en France, notre stratégie de secours permet désormais de plafonner les gros feux.

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