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Non au déplafonnement des rémunérations des dirigeants du secteur public

Tribune publiée dans Le Monde du 20 août 2022

Bernard Dufour est un ancien cadre et entrepreneur du secteur financier, membre du conseil d’orientation du cercle Pollen ; Jean-Paul Tran Thiet est avocat, président du conseil d’orientation du cercle Pollen.

Le gouvernement envisage, pour faciliter le recrutement du successeur de Jean-Bernard Lévy à la tête d’EDF, de supprimer ou de déplafonner le décret qui limite le salaire des dirigeants du secteur public. Cette limite, fixée à 450 000 euros brut par an (37 500 euros par mois) [par un décret de François Hollande, en 2012], subit déjà quelques dérogations (chez Orange ou Air France-KLM, par exemple), mais reste imposée pour un nombre respectable de dirigeants, parmi les plus influents : La Poste, la Caisse des dépôts et consignations, la Banque publique d’investissement, Aéroports de Paris, Framatome, la SNCF ou France Télévisions, pour n’en citer que quelques-uns.

L’idée, largement véhiculée, selon laquelle il faudrait payer « au prix du marché », c’est-à-dire avec des « packages » de 5 millions à 15 millions d’euros, les PDG du secteur public pour avoir les meilleurs mondiaux est largement infondée.

Pourquoi ? Pour la simple raison qu’il y a, tout particulièrement dans notre pays, des hommes et des femmes qui ne placent pas l’enrichissement personnel au-dessus du désir d’accéder à de hautes responsabilités et de servir. Et parmi eux, il s’en trouve beaucoup qu’on peut classer parmi les meilleurs dirigeants mondiaux.

De plus, revenir sur le décret Hollande de juillet 2012 constituerait un signal politique très négatif, au moment où les inégalités de revenus et de patrimoines sont perçues, à tort ou à raison, comme s’accroissant. C’est sur ce terreau que prospèrent les partis extrémistes, globalement bénéficiaires des votes protestataires.

Le cercle de réflexion Pollen admet que l’on fasse des compromis nécessaires avec le monde réel, c’est-à-dire avec l’économie de marché. Mais ce recul-là est inutile et indigne d’un gouvernement qui place l’intérêt général au rang de ses valeurs premières, comme il est indigne des fondements de la social-démocratie que nous soutenons.

Carlos Ghosn, ancien PDG de Renault bénéficiaire d’un double salaire (avec Nissan), s’élevant à deux fois 7 millions à 8 millions d’euros, assortis d’un surplus pour Mitsubishi, sans compter les avantages hors salaire qu’il s’attribuait ou se faisait attribuer, a laissé un champ de ruines après son départ, dont le groupe a mis plusieurs années à se relever. Il n’a pas été meilleur dirigeant automobile que d’autres, démontrant seulement des capacités de cost killer – pour les autres et non pour lui –, comme on en trouve des centaines sur le marché.

Quant aux rémunérations différées comme les bonus de départ et les retraites chapeaux, elles sont encore moins justifiées, car elles coûtent très cher et sont versées à des dirigeants qui, par définition, n’apportent plus aucun service à l’entreprise qui les paye.

On se souvient des polémiques créées à propos des anciens PDG de Vinci, de Carrefour ou d’Alcatel. Outre leur indécence, ces rémunérations excessives – immédiates ou différées – portent un préjudice potentiel à l’intérêt social de l’entreprise, lequel ne s’entend pas hors celui des salariés.

Le fameux « alignement des intérêts du management avec ceux des actionnaires » fait partie, depuis des décennies, des justifications avancées pour ces rémunérations excessives, générées par le capitalisme financiarisé. Il est au cœur de l’idéologie de la « création de valeur pour l’actionnaire », avec laquelle il nous faut rompre, parce que c’est une fausse règle et un prétexte largement infondé.

La réalité est beaucoup plus prosaïque : il faut voir, dans la course aux rémunérations astronomiques, un effet de l’entre-soi des dirigeants d’entreprise, qui siègent dans les conseils d’administration les uns des autres, encouragés par la surenchère des cabinets de recrutement dont les honoraires sont indexés sur le niveau desdites rémunérations !

L’expérience montre que la bonne conduite des grands groupes n’est pas indexée sur l’enrichissement personnel d’une poignée de dirigeants.

C’est pourquoi le cercle Pollen demande à la Première ministre, Elisabeth Borne, dont il soutient les efforts, de s’opposer résolument au déplafonnement du décret de 2012.

Une réponse sur « Non au déplafonnement des rémunérations des dirigeants du secteur public »

j’apprécie tout à fait l’article qui tente de remettre l’église au milieu du village, comme disent nos amis belges. La surenchère salariale au sommet de l’entreprise est un jeu périlleux pour nos démocraties, motivée par des arguments assez fallacieux.

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